Lectures algorithmiques du portrait parlé de Bertillon

par Guillaume Slizewicz (Espèces urbaines)

Un code télégraphique du portrait parlé, écrit en 1907, est une tentative de traduire en chiffres le "portrait parlé", une technique de description du visage créée par Alphonse Bertillon, créateur de l'anthropométrie judiciaire. En appliquant ce code, il espérait que les visages des criminels et des fugitifs pourraient être facilement communiqués par le réseau télégraphique entre les pays. Dans sa forme, son contenu et son ambition, ce texte représente notre relation complexe avec les technologies documentaires. Ce texte a donné lieu à la création des installations suivantes pour trois raisons :

• Premièrement, le texte est un algorithme en soi, un algorithme de compression, ou pour être plus précis, la présentation d'un algorithme de compression. Il tente de réduire l'information en petits morceaux tout en la gardant lisible pour la personne possédant le code. À cet égard, elle est étroitement liée à la façon dont nous créons la technologie, à notre recherche d'une plus grande efficacité, de résultats plus rapides et de méthodes moins coûteuses. Il représente notre appétit de mettre des chiffres sur le monde entier, de mesurer les plus petites choses, d'étiqueter les différences les plus infimes... Ce texte incarne en lui-même la vision du Mundaneum.
• Deuxièmement, il s'agit des raisons et des applications de la technologie. La présence de ce texte dans les archives sélectionnées est presque ironique à une époque où la reconnaissance faciale et la surveillance des données font la une des journaux. Ce texte présente les mêmes caractéristiques que certaines technologies d'aujourd'hui : il est motivé par le contrôle social, classifie les personnes, pose les bases d'une société de la surveillance. Les caractéristiques faciales sont au cœur de la controverse : les photos d'identité ont été standardisées par Bertillon, elles sont maintenant utilisées pour entraîner le réseau neuronal à prédire les criminels des citoyens respectueux des lois, les systèmes de reconnaissance faciale permettent l'arrestation des criminels via l'infrastructure CCTV et certains affirment que les caractéristiques des gens peuvent prédire leur orientation sexuelle.
• Le dernier point concerne la façon dont il représente l'évolution de la technostructure de l'humanité. Ce que nos outils nous permettent de faire, ce qu'ils interdisent, ce qu'ils entravent, ce qu'ils nous font retenir et ce qu'ils nous font oublier. Ce document permet une classification entre les personnes, et une certaine vision de ce qu'est la normalité. Il brise le continuum en morceaux, ce qui permet la stigmatisation/discrimination. D'un autre côté, ce document semble également obsolète aujourd'hui, car notre techno-structure n'a pas besoin de descriptions écrites aussi détaillées sur les fugitifs, les criminels ou les citoyens. Nous pouvons maintenant trouver des empreintes digitales, des scanners d'iris ou des informations ADN dans de grands jeux de données et les comparer directement. Parfois, les systèmes technologiques n'ont même pas besoin de surveillance humaine et reconnaissent directement l'identité d'une personne par ses traits faciaux ou sa démarche. Les ordinateurs n'utilisent pas un langage écrit complexe pour décrire un visage, mais des tableaux d'entiers. Ainsi, tous les mots utilisés dans ces documents semblent désuets, datés. Avons-nous oublié ce que certains d'entre eux signifient ? La photographie nous a-t-elle fait oublier comment décrire les visages ? Est-ce que le logiciel d'aide vocale nous apprendra encore une fois ?

Écrire avec Otlet

L'écriture avec Otlet est un générateur de caractères qui utilise le code du portrait parlé comme base de données. Des nombres aléatoires sont générés et traduits en un ensemble de caractéristiques. En créant des instances uniques, l'algorithme révèle la richesse de la description qui est possible avec le code portrait tout en incorporant ses nuances.

Une interprétation algorithmique du portrait parlé de Bertillon

Ce travail établit un parallèle entre les systèmes Bertillon et les systèmes actuels. Une webcam associée à un algorithme de reconnaissance faciale capture le visage du spectateur et le traduit en chiffres sur une toile, en l'imprimant à côté des visages marqués Bertillon.